Un corps de sable (nouvelle)
Publié le 6 Octobre 2012
« - Je viens de trouver son corps ensablé si je puis dire, jusqu'au menton. C'est affreux! », confia le seul témoin sur place, une femme que le vent et l'émotivité bousculaient ce matin-là.
Elle répondait aux pompiers intervenus d'urgence à son appel lors de sa promenade quotidienne sur cette immense plage sans surveillance.
Entourée, puis encadrée par les officiels de l'investigation, sans attendre les premières questions de la Gendarmerie, elle fit part d'une autre découverte, allant jusqu'à exprimer les prémices d'une interprétation personnelle.
« - Regardez! On dirait bien qu'il a tout écrit un peu plus loin. Des lignes amères, aveux de sa souffrance... »
« - Connaissiez-vous cet individu, apparemment sans documents d'identité? Commence le responsable de l'enquête.
- Oh de vue simplement! Je crois savoir qu'il habite cette maison de pêcheur, là-bas, à quelques mètres des premières dunes.
- Vous croyez ou vous savez? Bon passons aux choses sérieuses et revenons à son corps et puis à cette écriture; Je ne suis pas encore convaincu du lien.
-
Puis il s'adresse à son adjoint:
« - Didier! Recopie méticuleusement tout ce texte de sable avant que les vagues ne s'en emparent! La marée sera haute d'ici un quart d'heure! Il est temps d'enlever le corps. Nous procéderons à son identification en fin de matinée. Rejoignons-nous au poste ! »
Le témoin ? Une femme d'une quarantaine d'années, habituée des alentours, avait enregistré à voix haute sur son portable tout l'écrit, pensant que le vent ou la mer emporterait ce trésor vers l'infini.
Le commandant exigea sa présence pour valider son déposition à son bureau. Elle accepta non sans ressentir les contraintes d'une situation qui dépassait ses impressions de marcheuse solitaire.
Pendant que l'administration et le corps médical exploitaient tous les éléments à leur disposition et interrogeaient les quelques habitants alentours sur les conditions de vie de la victime, un homme d'une soixantaine d'années, Ameline courut à son studio situé vers le phare.
Chez elle, elle se sentit lourde d'un siècle, nue jusqu'à l'âme... Au lieu de s'allonger, elle s'approcha de l'unique baie qui donnait sur l'étendue de ses rêves pour écouter son enregistrement. Elle ne put retenir un sanglot quand elle observa que sa voix avait tremblé sur chaque mot. Voilà que ce qu'elle écoutait dépassait sa diction. En voici le fidèle écho :
« Mon corps, mon coeur sont de sable.
La vie m'a tout enlevé. Il ne me reste plus rien.
Parce que je suis un arbre sans sève
mes baisers ne valent plus rien
L'humiliation, c'est d'exister sans pouvoir aimer.
Ma princesse m'a quitté sans rien dire
me laissant ses pensées dans toute la maison.
Alors j'ai choisi le sable, puis l'océan
pour ensevelir tous mes désirs sans elle. »
Ameline reçut un appel du commandant de la gendarmerie, la priant de revenir en début d'après-midi. Il rajouta qu'il s'agissait d'un suicide et qu'il clôturerait l'affaire.
C'est vrai qu'elle était jeune. C’est vrai qu'elle s'était enfuie tout en restant à la croisée des chemins de la vie. Qui le saurait? Les secrets sont de sable.
Suzâme
(03/10/12)