Séjour dans les Ardennes oct. 2012 (2) Mes rencontres avec RIMBAUD (1ère partie)
Publié le 1 Novembre 2012
Nous n’avions pas besoin de prendre rendez-vous et il n’y eut pas d’accolades. A sa première apparition Place Ducale,
j’ai faibli en reconnaissant ses yeux d’adolescent. Ils avaient quelque chose de dérangeant. C’est lui qui m’a approchée, sentant mes réticences, ma peur peut-être. Qu’avais-je à lui dire au fond ! Que je ne l’avais pas lu depuis longtemps mais que je me souvenais de vers entiers de «Ma bohème» et de «Sensation» ?
A l’insu de mon époux attiré par les terrasses ensoleillées, me déconcertant, il me murmure à l’oreille :
«…La voix de la pensée est-elle plus qu’un rêve ?... ».
Je panique, bégayant : « Po – poésie transpose pensée... »
Puis il a disparu. Je savais que je le retrouverai autrement au Musée qui lui était consacré.
Je me suis précipitée vers les manuscrits pas tous originaux hélas, tentant de les photographier sans vraiment de
succès puisque la lumière m’en empêchait. J'étais frustrée de ne pas pouvoir voler cette écriture encore si vive à travers les vitres. Lire le courrier adressé à son professeur de rhétorique
Georges Izambard, c’est partager ses confidences, les lectures à sa disposition et quelques poèmes puis soudain mon regard s’attarde sur son expression « …ma
vie a dix-huit ans compte tout un passé… ».
Serais-je un jour autre chose qu’une femme pensive ? Ici, non.
http://www.mag4.net/Rimbaud/LettresIzambard.html
Fragment d'écriture, signature d'Arthur Rimbaud
J’ai apprécié d’être seule en quête du poète, de son enfance, de sa jeunesse, apprivoisant chaque photo, dessin
qui nous le restituaient dans ses débuts et le poursuivant jusqu’à Paris puisqu’il fut demandé et accueilli par Verlaine, puis logé par la suite par Théodore de Banville.
Pendant l’automne 1871, il fréquenta le cercle des «zutistes», hôtel des Etrangers, quartier Saint Michel. Aux
côtés de son ami Paul, de Charles Cros et quelques autres, ils se livraient aux moqueries, à la caricature d’artistes et poètes concurrents appelés les Parnassiens autour du poète
Leconte de Lisle. Etaient-ils si différents ? Rimbaud excellait dans l’audace et l’espièglerie littéraire. Cernant le style des poètes les plus reconnus. Nous trouvons une trace de leur
ébullition à base de parodies de poèmes jugés trop classiques dans l’Album zutique publié en 1943.
http://www.mag4.net/Rimbaud/poesies/Album.html
J’ai entendu à nouveau sa voix - et
je ne suis pas Jeanne - dans une autre pièce, celle des correspondances… Quelques sueurs sur mon cœur puis je suis allée sur ses traces…
« …Car JE est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute. Cela m'est évident .
J'assiste à l'éclosion de ma pensée : je la regarde, je l'écoute : je lance un coup d'archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d'un bond sur la scène… »
Je me suis précipitée pour parcourir sa fameuse lettre à Paul Demeny, dite «Lettre du voyant». Son langage si savant pour son âge, son affirmation, son sens critique…
Et soudain, presque brutalement, de nouveau, il m’apostrophe, me bouscule et me crie :
«… La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre connaissance,
entière. Il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente, l'apprend. Dès qu'il la sait, il la doit cultiver : cela semble simple : en tout cerveau s'accomplit un développement naturel ; tant
d'égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d'autres qui s'attribuent leur progrès intellectuel ! - Mais il s'agit de faire l'âme monstrueuse : à l'instar des comprachicos, quoi ! Imaginez
un homme s'implantant et se cultivant des verrues sur le visage.
Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant… »
Et me souvenant d’une de ses pensées magistrales, je lui réplique discrètement :
«…Donc le poète est vraiment voleur de feu… » et j’entends son
rire résonner uniquement dans ma tête. C’est ce que j’appelle encore ma folie douce.
En repartant, un peu pressée par une délégation venue probablement pour le vernissage de l’exposition de
Zanzucchi, articte-platicien link , j'ai remarqué la bibliothèque du Musée consacrée
à Rimbaud… Ah j’y serais restée des heures à parcourir, à me suspendre à ses vers sous tous les formats et toutes les éditions francophones. J’avais apporté pour mon séjour
«Rimbaud l’heure de la fuite» d’Alain Borer qui m’accompagne encore pendant ma période rimbaldienne et avait noté dans mon carnet
parmi quelques écrits divers :
« …Distinguons avec lui la Poésie du poème : la Poésie est une essence pure, le poème n’en est que l’accident. Toute l’entreprise du poète fut de saisir l’un dans l’autre : de faire coïncider l’essence de la Poésie dans l’existence du poème… »
Je ne souhaitais pas quitter Charleville-Méziere sans me rendre sur le caveau de la famille Rimbaud.
Caveau de la famille Rimbaud
Cimetière de Charleville Mézières
Ce n’était pas pour prier. Alors était-ce du voyeurisme primaire ?
Mon époux, se tenant à distance de mes préoccupations soudaines, j'ai fixé cette tombe simple, guettant un
message de mon fantôme du moment.
C'est bien lui, c'est Rimbaud qui me souffle, me répéte, jusqu’à ce que nous repartions de ce lieu doublement ensoleillé par l’astre brûlant malgré l’automne et mon âme ravie :
«… La vraie vie est ailleurs… »
Et je cède un peu plus discrètement à l'envie de lui répondre : "Tu ne l'as jamais écrit ainsi
puisqu’à vingt ans tu as affirmé dans «La Vierge folle» que «… La vraie vie était
absente… »
http://www.mag4.net/Rimbaud/poesies/Vierge.html
Avant de franchir le portail du cimetière, mon mari m'a signalé une boîte aux lettres destinée au célèbre
défunt.
Je vous réserve pour la seconde partie de notre visite à Charleville Mézières, la belle anecdote de notre déjeuner au restaurant «Au dernier sou», ma visite à la Maison natale d’Arthur Rimbaud et dans le cadre d’une manifestation «Les ailleurs» quelques mots sur ma découverte de Denis Perrette à la Médiathèque «Voyelles».
Merci pour votre enthousiasme à me suivre et je vous invite à découvrir les différents liens qui vous éclaireront davantage que mes heureuses divagations. A bientôt pour la suite.
Cordialement.
Suzâme
(18/10/12)
N.B. Suite au commentaire de Carole Cholet,
voici le lien sur un article "Arthur Rimbaud sur les murs de la ville" qu'elle a publié en septembre dernier sur le poète link